- AVIGNON (PAPES D’)
- AVIGNON (PAPES D’)Avignon doit sa célébrité, et l’essentiel de sa physionomie, au séjour qu’y fit la papauté au XIVe siècle. De 1309 à 1367 (ou 1403 si l’on compte les papes du Grand Schisme), la ville devint la capitale de la Chrétienté, principalement à cause de l’insécurité politique de Rome et de l’Italie d’alors. Papes français, les neuf papes d’Avignon se plurent sur les bords du Rhône, mais ils donnèrent toujours la priorité à la reconquête de leur pouvoir temporel en Italie. Dans des circonstances défavorables, ils surent, en excellents juristes, augmenter leur pouvoir en faisant de leur curie l’instrument d’une centralisation rigoureuse que favorisait l’heureuse situation géographique d’Avignon. Mais cette évolution, loin de résoudre le problème constitutionnel dans l’Église, l’aggrava bien plutôt, comme en témoigne le Grand Schisme; elle aggrava aussi l’enlisement de l’Église dans les affaires temporelles: la «réforme dans la tête et les membres», réclamée au concile de Vienne, resta lettre morte. Sans doute était-il vain de l’attendre d’abord de réformes administratives.La papauté à AvignonCirconstances de l’établissement de Clément V à Avignon (1305-1314)Lorsque Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, est élu pape en 1305, il se fait couronner à Lyon, sur le chemin de l’Italie, avec l’espoir de réconcilier dans cette ville d’Empire les rois de France et d’Angleterre, en guerre au sujet de l’Aquitaine. La poursuite de cet objectif, condition d’une croisade efficace en Orient, et surtout ses démêlés avec Philippe le Bel ne permettront pas à Clément V de rejoindre Rome. Il doit d’abord dissuader le roi de France de poursuivre le procès en hérésie qu’il a intenté à la mémoire de Boniface VIII, puis il tente de faire face, par le concile de Vienne (1311-1312), à l’affaire des Templiers dont le roi a décidé la perte. Comme la plupart des cours de l’époque, la curie pontificale mène d’abord la vie itinérante de son maître, en Limousin et en Aquitaine. Cependant, à partir de mars 1309, pour plus d’indépendance, le pape se fixe au couvent des dominicains d’Avignon: la ville appartient à l’un de ses vassaux, le comte de Provence, et de plus elle jouxte le Comtat Venaissin, possession du Saint-Siège depuis le XIIIe siècle. Le concile de Vienne terminé, l’Italie est de nouveau à feu et à sang, du fait de l’expédition de l’empereur Henri VII: Clément V ne peut s’y rendre; d’ailleurs, il est désormais trop malade pour cela. Aux yeux des contemporains, cet exil n’eut rien d’extraordinaire: on a pu calculer en effet que, de 1100 à 1304, les papes avaient résidé seulement quatre-vingt-deux ans durant à Rome même.Les papes d’Avignon de 1316 au Grand SchismeOn doit sans doute à Jean XXII (1316-1334), successeur de Clément V, le véritable établissement de la papauté en Avignon, ville qu’il aimait pour en avoir été longtemps l’évêque. Il y résida de façon stable durant les dix-huit années de son pontificat, menant de là une politique italienne complexe, mais finalement stérile. Au service de cette politique, cet administrateur de génie sut concevoir un vaste système de fiscalité qui procura désormais au Saint-Siège des ressources abondantes et régulières. Dans le même temps, il se réserva la nomination aux principaux bénéfices ecclésiastiques (dont les évêchés, auparavant pourvus par élection), ce qui renforçait sa mainmise sur le haut clergé et les églises locales et accroissait sa puissance, face aux pouvoirs politiques. Son successeur, Benoît XII (1334-1342), ne poursuivit pas ses vastes desseins et n’obtint guère de succès en Italie. Soucieux de réformer la vie religieuse, il échoua dans ce projet parce qu’il y fit preuve d’une trop grande minutie. Cependant, en reconstruisant en grand le palais épiscopal de la ville, il permit l’épanouissement des structures curiales mises en place par Jean XXII. La politique italienne de Clément VI (1342-1352) ne fut guère plus heureuse; ainsi acheta-t-il Avignon à Jeanne Ire de Naples et construisit-il un second palais, contigu à celui de Benoît XII. Ce pape prestigieux et brillamment doué ne réussit pas non plus à réconcilier l’Angleterre et la France, ce qui ruina également ses projets de croisade. Innocent VI (1352-1362) découvrit dans le cardinal Albornoz, qui s’était déjà illustré dans la Reconquista contre les Maures, le stratège militaire et l’habile diplomate qui allait enfin pacifier les États de l’Église en Italie, si bien qu’Urbain V (1362-1370) put finalement rejoindre Rome en 1367. Son désir de médiation dans l’interminable guerre franco-anglaise l’obligea cependant à revenir en Avignon, où il mourut en 1370. Grégoire XI (1370-1378), neveu d’Innocent VI, élu en Avignon, ne rentra à Rome, où les troubles avaient repris, que pour y mourir.Les papes du Grand Schisme en Avignon (1379-1403)Sous la pression d’une émeute du peuple romain réclamant «un pape romain ou au moins un pape italien», les cardinaux élirent unanimement un Italien, Urbain VI, pour succéder à Grégoire XI. Cette élection fut-elle libre? Les historiens en discutent encore; toujours est-il que, cinq mois après, les mêmes électeurs, sauf trois, choisirent un nouveau pape, Clément VII (1378-1394). Bientôt la Chrétienté entière, suivant ses souverains, se trouva divisée entre les deux obédiences. Urbain VI tenant Rome, Clément VII s’installa en Avignon en 1379, où il trouva l’administration et la capitale dont il avait besoin. Sa grande affaire demeura celle de tous ses prédécesseurs: reconquérir l’Italie. La mort d’Urbain VI, puis celle de Clément VII ne mirent nullement fin au schisme: les cardinaux ne se résolurent pas à voter pour le pape survivant, mais ils lui donnèrent chaque fois un rival. C’est ainsi que fut élu, en 1394, le dernier pape d’Avignon, Benoît XIII. Imbu de la plénitude du pouvoir pontifical, se considérant comme le représentant de Dieu sur terre, Benoît XIII refusa la voie de cession proposée pour mettre fin au schisme par le roi de France et la Sorbonne. Même après avoir subi la soustraction d’obédience de ses partisans, après avoir été chassé d’Avignon (1403), bien après le concile de Constance qui avait mis fin au schisme en déposant les trois papes rivaux en 1415, il refusa encore de démissionner et mourut isolé, mais sûr de son bon droit, à Peñiscola en 1422.Après Benoît XIII, aucun pape ne résidera plus en Avignon; l’histoire de la ville se confond désormais avec celle du Comtat Venaissin, qui continuera d’appartenir au Saint-Siège jusqu’en 1791, malgré des occupations militaires temporaires décidées par Louis XIV et Louis XV pour faire pression sur la papauté.Tableau chronologique1305-1314, Clément V (Bertrand de Got, Gascon).1316-1334, Jean XXII (Jacques Duèse, de Cahors).1334-1342, Benoît XII (Jacques Fournier, du comté de Foix).1342-1352, Clément VI (Pierre Roger, Limousin).1352-1362, Innocent VI (Étienne Aubert, Limousin).1362-1370, Urbain V (Guillaume de Grimoard, du Gévaudan).1370-1378, Grégoire XI (Pierre Roger de Beaufort, Limousin).1378-1394, Clément VII (Robert de Genève).1394-1422, Benoît XIII (Pedro de Luna, Aragonais), déposé par le concile de Constance en 1415.Avignon, capitale provisoire de la ChrétientéAbritant la papauté et ses services, Avignon devint la capitale de la Chrétienté et prit un rapide essor. Bien que submergés, les Avignonnais firent bon accueil aux nouveaux venus qui apportaient une prospérité inattendue à la cité. Devenue un centre commercial et bancaire de premier ordre, elle fut bientôt la première ville de France après Paris, avec environ 35 000 habitants, dont un millier de juifs, protégés par les papes. Avec plus de 151 hectares, sa dernière enceinte de 1360-1370 mesurait le triple de la première. Cette croissance se fit cependant sans plan et sans souci d’hygiène. L’effort architectural se porta surtout sur les palais des papes et sur les églises des ordres mendiants (Carmes, Cordeliers, Dominicains). Le mécénat des papes, qui y consacrent 4 p. 100 de leurs revenus, s’étend aussi aux autres arts: peinture (Simone Martini), sculpture, musique (influence flamande). Dans cette Cour, la plus grande d’Europe, les belles-lettres fleurissent (Pétrarque), des bibliothèques se constituent. Son influence artistique rayonne au loin grâce au passage incessant de prélats et de grands seigneurs en visite. Les clercs affluent à l’université, surtout à la faculté de droit, qui fournit la majorité du personnel curial. La faculté de théologie n’est fondée qu’en 1413 par Jean XXII.La papauté d’Avignon dans l’histoireDurant son séjour en Avignon, et grâce à lui, la papauté connut deux évolutions institutionnelles qui la marqueront longtemps. D’une part, devant le premier éveil des nationalismes, elle commença à abandonner ses prétentions au gouvernement politique de l’Occident, évolution qui eût été probablement plus lente à Rome, à cause des réminiscences historiques liées au site. D’autre part, pour la première fois, la centralisation pontificale devint effective: la vie sédentaire de la curie, sa position au cœur géographique de la Chrétienté y ont sûrement contribué. Ainsi, des papes plus juristes que théologiens ou spirituels dessinent en Avignon le visage moderne de la papauté: les constitutions de Clément V (Clémentines ) et de Jean XXII (Extravagantes ) cloront le Corpus juris canonici , qui demeurera la législation fondamentale de l’Église catholique jusqu’en 1917.À l’exception de la reconquête de l’Italie, la politique des papes d’Avignon fut un échec (médiations inefficaces durant la guerre de Cent Ans, croisade impossible), mais doit-on en dire autant de leur action religieuse? Si certains aspects de l’action de Clément V furent teintés de servilité à l’égard de la monarchie française, ses successeurs surent être plus indépendants. En revanche, sauf chez Benoît XII, on peut dénoncer leur népotisme et leur favoritisme à l’égard de leurs compatriotes; 113 des 134 cardinaux d’Avignon seront français et pour les trois quarts originaires du Midi comme les papes: on comprend que les Italiens frustrés aient dénoncé le séjour en Avignon comme «la captivité de Babylone»! Cependant, trois de ces papes passent à juste titre pour des réformateurs; mais, prisonniers des structures de l’époque, même eux ne surent pas se dégager du temporel et tenir compte des critiques des Fraticelles ou de la pensée laïque naissante (Marsile de Padoue). S’ils dotèrent l’Église d’une fiscalité et d’une administration efficaces, les papes d’Avignon laissaient cependant à leurs successeurs la tâche essentielle: la réforme de l’Église, nécessaire pour authentifier son témoignage évangélique dans une société qui, désormais, s’émancipe de la tutelle ecclésiastique.
Encyclopédie Universelle. 2012.